La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après RedFanny

La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après RedFanny

La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après RedFanny

Bonjour Fanny ! Merci d’avoir accepté de participer à cette interview ! Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement ?

Je m’appelle Fanny Renard. Mon pseudo, c’est RedFanny sur les différents réseaux.

J’ai fait un bachelor infographie 3D et un master réalisation et direction artistique dans une école de cinéma d'animation. Déjà à cette époque-là, je savais que je voulais être narrative designer. Ce fut un long chemin pour y arriver. J’ai d’abord été infographiste 3D puis level artist chez Ubisoft Ivory Tower. Ensuite, je suis devenue monteuse, cadreuse, puis community manager pour finalement, après 6 ans d’expérience dans le jeu vidéo, devenir enfin narrative designer. Aujourd’hui, je travaille chez Passtech Games sur le jeu Ravenswatch.

À côté de ça, j’ai créé ma chaîne Youtube et ma chaîne Twitch, il y a 7 ans, je crois. Sur Youtube, j’ai abordé du cinéma d’animation qui était ma première passion avec le jeu vidéo. J’ai fait des vlogs de voyage et des let’s play. Sur Twitch, j’ai commencé par du jeu vidéo. J’ai aussi fait des émissions, des interviews, de la musique. J’ai une émission où je parle d’actualité, de politique et de mes engagements militants.

Je fais partie de Women In Games (WIG). Je suis militante féministe, LGBT et antiraciste. J’essaie d'œuvrer pour plus de diversité et d’égalité dans le jeu vidéo, à la fois dans l’industrie du jeu vidéo et dans les jeux vidéo.

 

Tu parles de tes engagements militants, notamment avec Women In Games. Quels sont les projets auxquels tu as participé ou que tu as organisés au sein de WIG ?

J'ai organisé deux événements avec WIG. Le premier s’appelait Créateur·rices et responsables. C’était un événement sur une journée avec des tables rondes pour parler d’inclusivité, d’écologie et du principe de responsabilité des créateurs et des créatrices de jeux vidéo. Le deuxième événement, c’était pour un 8 mars, journée internationale des droits des femmes. La thématique était plus axée sur les droits des femmes, les violences sexistes et sexuelles et les représentations des personnages féminins dans les jeux vidéo.

Je participe aussi régulièrement à des tables rondes et des podcasts pour parler de féminisme, d’inclusivité, de représentations, que ce soit féministes ou LGBT. On a une émission qui s’appelle Press Start chez Women In Games. Tous les mois, on invite une personne de genre marginalisé du milieu du jeu vidéo et on lui pose des questions sur son parcours, sa carrière, son travail et son quotidien. Une personne de genre marginalisé, c’est tout sauf homme cis, donc ça peut être femme cis, femme trans, personne non-binaire, personne agenre ou homme trans.

Quelque chose qui est super important chez WIG et qu’on essaie de mettre en avant, c’est de rendre visibles des personnes, surtout des femmes, de l’industrie pour créer ce qu’on appelle des rôles modèles. Je pense que c’est très important d’avoir des rôles modèles sur lesquels on peut se projeter et se dire “ok finalement, j’ai ma place. Peut-être que cette personne-là pourrait être moi dans 10 ans, dans 20 ans…” D’ailleurs, je pense que ce qui m’a aidée à me sentir légitime de devenir narrative designer, ce ne sont pas seulement les rôles modèles, c’est aussi le principe de mentoring. C’est d’avoir ce rôle modèle qui me tend la main et me dit : “tu peux le faire” soit “tu as le niveau”, soit “un jour, tu l’auras” et qui te redonne confiance, te donne des conseils, des clés.

Il y a cette image que j’aimais bien, une image de BD, qui montrait des parcours du combattant où l’homme cis blanc hétéro valide avait un chemin sans embuche, la femme blanche en avait davantage, la femme noire en avait encore plus et la femme en fauteuil roulant… c’était encore plus compliqué, il y a encore plus de fils barbelés et de trous. Et il était marqué “oui, mais c’est la même distance”. Seulement, il n'y avait pas les mêmes obstacles. Du coup, c’est vrai que si on n’a pas les clés et les armes pour passer au-delà des obstacles, on ne peut pas avancer. C’est aussi pour ça que je suis pour la discrimination positive qui, pour moi, représente cette idée de donner ces armes et ces clés aux personnes qui ont des bâtons dans les roues dès le départ.

 

C’est une image intéressante pour mettre en avant l’inégalité des chances présente dans notre société… Parlons maintenant de la mixité dans les jeux vidéo. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Actuellement, l’inégalité et le manque de tolérance, le manque d’ouverture et une profonde méconnaissance du sujet. Il y a encore beaucoup de travail et de chemin à parcourir.

Concernant le jeu sur lequel je travaille actuellement, Ravenswatch, avant même que j’arrive, il avait été décidé que la reine des neiges serait noire. Je trouvais ça génial ! Quand on a lancé l’Alpha du jeu, on a commencé à recevoir quelques commentaires. Il y a eu au moins un commentaire d’une personne qui ne comprenait pas pourquoi la reine des neiges serait noire. Le fait que ça puisse poser un problème, que la reine des neiges soit noire, et que ça ne pose aucun problème que le petit chaperon rouge soit un loup-garou... Dans les deux cas, le conte est détourné, mais il y a une version qui pose problème et l’autre non. Ça m’a vraiment touchée et inquiétée parce qu'à force de côtoyer les mêmes cercles, on a l’impression que ça évolue vite et que tout le monde est d’accord. Et en fait, quand on sort de notre cercle, on se prend des claques dans la figure.

 

Selon toi, comment sont traitées la mixité et la diversité au sein des industries de jeu vidéo ?

Dans l’industrie, je commence à voir des femmes, je vois très peu de personnes trans, je ne vois quasiment aucune personne noire et très peu de personnes non valides. Ça donne une impression de non-diversité. C’était Jehanne Rousseau qui l’avait dit à la deuxième édition des Pégases qu’on se ressemble tous et si dans l’industrie, on se ressemble trop, finalement, on va tout le temps faire les mêmes jeux et ce n’est pas intéressant. Je pense qu’il faut qu’on évolue, qu’on change nos manières de faire, qu’on change nos habitudes, qu’on lâche un peu nos privilèges et qu’on commence à se poser les bonnes questions.

 

Et sur les plateformes de streaming ?

Je n’ai pas l’impression que sur les plateformes de streaming, il soit tellement question de mixité. Je pense qu’il y a cette idée de mettre en avant les chaînes qui fonctionnent le mieux parce que la base de Twitch et de Youtube, c’est de faire de l’argent. Leur objectif, c’est de mettre en avant ce qui va leur rapporter le plus, mais de temps en temps, ils mettent en avant des streameuses ou Women In Games. Parfois, ils font des petits efforts et c’est déjà bien, mais ça reste des entreprises. 

 

Leur priorité n’est pas la promotion de la mixité et de la diversité mais de récolter des bénéfices financiers… Et au niveau des jeux vidéo ?

C’est un petit peu le même problème dans l’industrie du jeu vidéo. L’objectif c’est de faire des rentrées d’argent. Le but c’est aussi de pouvoir payer tous ses salariés à la fin du mois donc c’est totalement légitime de vouloir que le jeu se vende. Il peut y avoir plein de très bonnes raisons de ne pas prendre de risques quand on fait un jeu vidéo. Dans les jeux indépendants, les plus petits projets, où il y a moins d’enjeux financiers, il y a beaucoup plus de prises de risques au niveau de l’inclusivité et des représentations donc le problème c’est l’argent. 

Au niveau des personnages, des représentations dans les jeux… je dirais que ça avance. Les jeux auxquels je joue aujourd’hui, ce ne sont pas les jeux auxquels je jouais quand j’avais 10 ans, quand j’avais 15 ans, quand j’avais 20 ans. On n’a plus uniquement des Peach, des Zelda qui se font enlever et qu’on doit délivrer, qui sont des femmes-trophées qui servent juste à récompenser le héros valeureux. Il y a une héroïne qui m’a beaucoup marquée dans mon adolescence, c’était Jade dans Beyond Good and Evil parce que c’était une héroïne forte, à aucun moment sexualisée, à aucun moment elle vit une romance, à aucun moment elle n’est draguée par qui que ce soit et elle n’est pas seulement forte. Ce n'est pas seulement une guerrière, on ne lui met pas uniquement des attributs masculins. Elle a aussi des qualités dites féminines, associées aux stéréotypes féminins comme la douceur, le fait qu’elle est tournée vers les autres, qu'elle protège des orphelins. Elle est aussi intelligente, elle enquête, elle est discrète… On a eu une tendance où il y avait beaucoup d'héroïnes fortes mais qui étaient soit des top-modèles, des héroïnes sexualisées comme Lara Croft, soit des guerrières puissantes. J’aimerais qu’on entre dans une nouvelle phase… je pense qu’on entre dans une nouvelle phase où aujourd’hui, on va représenter des femmes avec d’autres qualités, pas uniquement être aussi bien que des hommes mais pouvoir être autre chose. Avoir une plus grande diversité : ne pas avoir que des femmes fortes, que des femmes sexy mais aussi des femmes intelligentes, patientes, subtiles, diplomates. Je pense que ça manque cruellement.

Le stéréotype masculin il est bien présent aussi. Dans Gender Swap, l’événement qu’on avait mis en place avec WIG, les animations des deux personnages étaient inversées donc on avait un Batman qui se trémoussait et une Catwoman stoïque, inexpressive. Il y a eu beaucoup de réactions, de moqueries, qui étaient un peu transphobes ou homophobes. En fait, on voit le fait d’être féminin et d’être sensuel et maniéré comme quelque chose de négatif, à la fois quand c’est une femme et quand c’est un homme. Quand c’est une femme, c’est une prostituée, elle ne se respecte pas ou elle se sert de son corps. On va aussi dire que les personnages sexualisés dans les jeux vidéo, c’est une mauvaise chose. Moi, je suis d'avis que non, c’est bien les personnages féminins sexualisés. Le problème, c’est que ce soit systématique. Si on n’a que des personnages féminins sexualisés dans les jeux vidéo, le message que ça envoie aux gens, aux joueurs, aux joueuses, c’est : “les femmes, c’est ça”. Totalement les bannir, pour moi, c’est une erreur parce qu’une femme peut vouloir mettre en avant son corps et aimer s’habiller de façon sexy. Un homme qui va avoir un comportement avec des gestes féminins et maniérés, se déhancher, danser, avoir des vêtements courts… ça va aussi être vu comme quelque chose de négatif, car associé au féminin et à l’homosexualité. Ces combats-là, je les mène un peu tous de front, de concert. Pour moi, ils sont tous liés : lutte contre le sexisme, l’homophobie, la transphobie. Ce sont des luttes qui sont toutes liées au système patriarcal. À cet événement du Gender Swap,  quand j’ai vu le Batman se trémousser, ma réaction c’était “c’est génial ! Je veux des hommes sexy qui n’ont pas peur de se déhancher. Je veux des hommes maniérés. Je veux des personnages gay qui ne sont pas du tout le stéréotype du personnage gay. Je veux des personnages hétéros qui se mettent du vernis sur les ongles. Je veux des hommes qui pleurent, des hommes qui montrent leurs sentiments, des hommes qui se mettent en colère, des hommes qui ne se mettent jamais en colère…” En fait, c’est ça, je veux de la diversité des deux côtés.

 

En parallèle aux représentations, créer un espace sûr où les utilisatrices et les utilisateurs peuvent naviguer sans risquer d’être victimes de discrimination peut contribuer à promouvoir la diversité et l’inclusion. D'après ton expérience et tes connaissances, y a-t-il des mesures spécifiques mises en place par les plateformes de streaming et les studios de jeux vidéo par rapport au sexisme et au harcèlement sexuel ?

Il y a trop peu de mesures prises par les plateformes. À nouveau, Twitch, c’est une entreprise. Leur but, c’est de faire le plus de rentrées d’argent possibles. Par exemple, si on a des personnes problématiques qui sont bannies de dix chaînes Twitch de streameuses parce que ces personnes ont eu des comportements toxiques, ont insulté, harcelé… ces personnes-là devraient être bannies définitivement de Twitch. On devrait bannir leur adresse IP pour qu’ils ne puissent plus recréer de comptes et aller harceler d’autres streameurs et streameuses. En fait, Twitch, ce n’est pas dans leur intérêt de les bannir parce que ce sont de potentielles personnes qui achètent, s'abonnent, consomment, visionnent des publicités, donc c’est une source de revenus. Tant que les utilisateurs et les utilisatrices ne changeront pas leur comportement sur Twitch, et tant qu’ils pourront toujours faire les mêmes rentrées d’argent, les plateformes n’ont aucun intérêt à agir.

À la différence de Twitch qui a le monopole du streaming en direct, j'ai plus d'espoir du côté de la création de jeux vidéo. L'image de marque des éditeurs et éditrices et celle des développeurs et développeuses compte de plus en plus aux yeux du grand public. On voit des scandales éclater, des personnes accusées de harcèlement et d'agressions sexuelles être virées, des jeux se faire boycotter. Même s'il y a toujours des idiots pour dire "Ah bon J.K. Rowling est cancel ? Alors, je vais me faire rembourser Hogwarts Legacy... et commander la version deluxe mdr !"

 

Acheter, streamer, parler d'un jeu, qu'on le veuille ou non, c'est politique. En tant que consommateur ou consommatrice, on a notre part de responsabilité. Mais l'exemple de The Last of Us, le jeu comme la série, montre que les créateurs et créatrices ont leur part de responsabilité aussi et qu'ils l'ont compris. 

 

Quelles actions concrètes recommanderais-tu de réaliser pour promouvoir la mixité et la diversité ?

En tant que joueur ou joueuse, on peut se demander “à quel jeu je joue ?”. Ça peut aussi être “quels commentaires je laisse”, “quel jeu je conseille”, “quel jeu je mets en avant”. On n’y pense pas, mais les commentaires sur Steam, toute la communication, le bouche-à-oreille qu’on peut faire sur un jeu, c’est très important.

En tant que streameur ou streameuse, c’est un peu pareil “à quel jeu je joue”, “qu’est-ce que je dis” et “comment je gère ma communauté ; quelles remarques, quelles insultes, quels comportements je laisse passer, je filtre ou je bannis”.

En tant que développeur ou développeuse, c’est plus difficile parce qu’on fonctionne avec une équipe et on est salarié. Je dirais que notre responsabilité est de faire des personnages les moins stéréotypés possibles, les plus divers, les plus inclusifs possibles et de se renseigner un maximum pour éviter tout propos discriminant, toute maladresse.

 

Merci infiniment d’avoir pris le temps de répondre à toutes mes questions ! Toute l’équipe de Game’Her te souhaite beaucoup de réussite dans ton parcours professionnel et dans tes futurs projets !

 

Vous pouvez retrouver RedFanny sur les réseaux sociaux :


Source

Rubio, T. (2023, 23 février). Comprendre le boycott d’Hogwarts Legacy. EIN. https://esport-insights.com/comprendre-le-boycott-d-hogwarts-legacy/

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Lya
Lya

Étudiante en psychologie sociale et interculturelle et amatrice de jeux vidéo, je soutiens un féminisme intersectionnel et inclusif