La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après Chloé

La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après Chloé

La mixité dans les jeux vidéo et le streaming d'après Chloé

Bonjour Chloé ! Merci d’avoir accepté de participer à cette interview ! Pour commencer, peux-tu te présenter brièvement ?

Je m’appelle Chloé, j’ai 26 ans. J’ai fait un master en linguistique et en entrepreneuriat en Belgique. Je joue aux jeux vidéo depuis toute petite. Cela a toujours été ma passion n°1 dans la vie. Quand j’ai commencé, je jouais à la Game Boy, à la PlayStation... surtout avec mon père. Je n’ai jamais lâché les jeux vidéo.

Pour le streaming, j’ai commencé à m’y intéresser au début du premier confinement. J’étais aux études, j’avais plus de temps parce que j’avais mes cours à distance donc j’ai commencé à regarder des streams, notamment de jeux vidéo. Comme j’avais déjà fait le tour de Youtube à ce moment-là et que je m’ennuyais pendant le confinement, j’ai commencé à découvrir Twitch. Ensuite, quelques mois plus tard, le confinement avait été rallongé alors, je me suis dit “en fait, j’ai un peu de temps libre… et si je commençais à streamer moi-même ?”. À l’origine, je faisais des petites vidéos sur Youtube mais ça me prenait beaucoup de temps de tourner, d’écrire et de monter les vidéos. Avec les études et mon job étudiant, c’était un peu dur de tout gérer, donc je me suis dit que le stream, c’était un bon compromis. Il suffisait de streamer et j’avais mon contenu. 

Quand j’ai commencé à streamer, je me suis rendu compte de plusieurs choses : il n’y avait pas beaucoup de femmes streameuses et il y avait peu de femmes mises en avant sur Twitch. À cette époque-là, je regardais les tops et les statistiques (les personnes qui faisaient le plus de vues, qui avaient le plus de followers, etc.). Il n’y avait jamais de femmes dans le top. Ça, c’était ma première observation quand je suis entrée dans le monde du streaming.

La deuxième observation, c’est que streamer, ce n’est pas facile. Je devais régler tous les aspects techniques, mais je devais aussi apprendre comment animer un live, savoir comment être présente sur les réseaux sociaux pour toucher le plus de monde… En fait, j’avais plein de questions et je ne connaissais pas d’autres streameuses. C’est à partir de ces deux observations que j’ai voulu créer quelque chose qui, à la fois, rassemble les streameuses, donne peut-être envie à d’autres femmes de se lancer dans le streaming et qui permet aussi de se rassembler, de s’entraider et d’organiser des événements entre nous. C’est là que j’ai commencé à créer Stream’Her.

Stream’Her est donc née d’un serveur Discord et des réseaux sociaux, puis a grandi de fil en aiguille. Ilaria, une amie à moi, a rejoint le projet en tant que co-fondatrice quelques mois plus tard. On faisait les mêmes études donc on les a terminées en même temps. Ilaria avait entendu parler d’un programme d’incubation à Bruxelles qui s’appelait we are founders. On avait donc postulé avec Stream’Her. C’était l’occasion d’être à fond sur le projet si on était prise, d’avoir des bureaux et d’être en contact avec des personnes pouvant nous conseiller pour le projet. On avait été prise, c’était trop bien ! Ilaria et moi avons donc pu travailler pendant un an à 100 % sur le projet Stream’Her. Le projet s’est vraiment bien développé. On a commencé à faire des formations avec la ville de Bruxelles. On a organisé des événements : des événements caritatifs, des tournois de jeux vidéo, etc.


Chloé et Ilaria, co-fondatrices de Stream'Her

 

De mon côté, j’ai continué à streamer du jeu vidéo. D’habitude, je streamais une fois de temps en temps, quand je pouvais. Maintenant, ça fait environ un an que je streame tous les matins. Depuis, ma chaine a vraiment bien grandi.

 

Quelles étaient tes motivations à l’origine, lors de la création de Stream’Her ? Et qu’est-ce qui te motive à poursuivre ce projet aujourd’hui ?

Ce qui m’a motivée à créer Stream’Her, c’étaient mes observations personnelles : le manque de représentations de modèles féminins variés dans le streaming et l’absence d’un lieu d’entraide pour poser ses questions, faire des lives à plusieurs et rencontrer d’autres streameuses. À l’université, j’étais dans plusieurs groupes d’entraide féminins, regroupant des étudiantes. C’est trop bien parce que, dès qu’on avait un souci, on pouvait poser notre question dans le groupe. Il y avait beaucoup d’entraide. Je m’étais dit que j’aimerais vraiment recréer un espace comme celui-là, mais dédié au streaming. C’est de cette idée qu’est née Stream’Her. C’est chouette de voir que finalement, le projet se développe bien et que ça aide beaucoup de personnes, beaucoup de streameuses : des petites streameuses, des moyennes, des plus grandes ou des femmes qui veulent se lancer dans le stream à l’avenir. Actuellement, on est plus de 1000 personnes sur le serveur Discord. C’est vraiment chouette.

Ce qui est ultra-motivant, c’est de voir que ça sert vraiment à quelque chose. Voir qu’il y a des femmes qui se lancent dans le streaming, qui prennent leur place, qui grandissent, en voir certaines qui deviennent partenaires et qui réussissent à créer quelque chose de super tangible avec leur chaîne. C'est très motivant. 

On a aussi réalisé des actions très concrètes. Par exemple, on a organisé un événement caritatif qui s’appelait Stream for trees avec Greenpeace Belgique et avec plus de 70 streameuses. Cet événement a duré toute une semaine. On a récolté plus de 15 000 euros et on a pu planter une forêt urbaine à Evere, à Bruxelles. Les streameuses sont venues sur place pour nous aider à planter 300 arbres. C’était vraiment trop cool !

 

C’est pareil concernant les formations qu’on donne avec la ville de Bruxelles. C’est trop chouette de voir des femmes, qui parfois ne connaissaient même pas le streaming, qui l’ont découvert, ont trouvé ça trop bien et ont démarré le stream. En plus, on peut voir que c’est un projet dont on a besoin parce que, malheureusement, il y a des côtés négatifs qui existent. Quand on est streameuse, on peut être victime de harcèlement et de sexisme. Avec Stream’Her, on essaie de trouver des solutions à ces problématiques. On essaie aussi de mettre continuellement en avant les streameuses et de les aider à prendre leur place parce que c’est un espace où on a totalement le droit d’être et d’être visible. C’est très motivant de travailler sur ce projet parce qu’on peut voir qu’il a un réel impact.

 

Quels sont vos objectifs et les actions que vous mettez en place avec Stream’Her ?

Je dirais qu’un des objectifs est de créer plus de rôles féminins variés dans le streaming. Je pense qu’on a vraiment besoin de cette représentation dans ce domaine, comme dans toutes les autres sphères, pour donner envie à d’autres femmes et à d’autres filles de se lancer elles-mêmes dans l’aventure. C’est important, car si on se reconnaît dans des streameuses, on aura tendance à plus vite se lancer que si on est face à des streameurs ou des streameuses qui ne nous correspondent pas du tout. C’est la même chose pour les jeux vidéo et pour tous les domaines de la tech. C’est super important d’avoir ces représentations. 

Un autre objectif est de continuer à voir le projet grandir : avoir de plus en plus de streameuses qui rejoignent le projet et continuer d’organiser des événements. Pour nous, c’est super important parce que ça fait de la mise en avant. Ça montre aussi qu’on est capable de faire bouger les choses.

Concernant les objectifs à long terme… pour l’instant, Stream’Her est francophone et nous aimerions beaucoup nous développer dans d’autres langues parce qu’il n’existe pas de projet similaire dans d’autres langues. On aimerait bien viser le néerlandais parce qu’on est en Belgique. Évidemment, si on passe dans une autre langue, comme on n’est que deux pour le projet, ce serait vraiment bien d’avoir plus de monde pour nous aider parce que ça prend un temps de dingue. On aimerait bien être financé par la ville pour embaucher quelqu’un pour nous aider à nous exporter dans d’autres langues et pour continuer à créer des choses et à grandir.

Sinon, on fait plusieurs choses avec Stream’Her pour essayer de mettre en avant les streameuses. On a deux axes principaux : la mise en avant et l’entraide.

Pour la mise en avant, on a la streameuse de la semaine. Tous les lundis, on met en avant une streameuse, son contenu et le lien vers sa chaîne, sur tous nos réseaux sociaux. On a aussi une équipe Twitch. C’est une page sur laquelle on peut voir toutes les streameuses de Stream’Her qui sont en direct. Ainsi, on peut directement aller voir leur chaine, rejoindre leur chat… On a également un Stream’Her-Dex sur notre site internet. C’est une liste regroupant les streameuses qui souhaitent y apparaître, avec ce qu’elles font et un lien vers leur chaine Twitch. On organise aussi des événements pour les mettre en avant : des tournois, des soirées jeux, des talk-shows, des événements caritatifs…

 

À côté, il y a toute la partie entraide. Pour ça, on a un serveur Discord qui est très actif. Tous les jours les membres discutent, il y a des streameuses qui posent leurs questions et tout le monde y répond. Il n’y a jamais une question qui reste sans réponse. C’est vraiment trop bien. Que ce soit des questions d’ordre technique, juridique, de communication… on peut discuter de tous ces sujets sur le serveur.

On donne aussi des formations sur le streaming avec la ville de Bruxelles. On y parle notamment du micro, des lumières, de la vidéo, de la présence sur les réseaux sociaux, etc. On propose ces formations pour permettre aux femmes de se professionnaliser dans le milieu du stream ou des réseaux sociaux. Parmi elles, il y en a qui cherchent, par exemple, à améliorer la gestion de leurs réseaux pour essayer de ramener du monde sur Twitch. C’est vraiment via toutes ces actions qu’on essaie de faire rayonner les streameuses.

 

On essaie aussi de promouvoir l'entraide et le fait de se serrer les coudes. On a notamment un service qui s’appelle allo-modo qui permet de trouver des modérateurs ou des modératrices. Par exemple, si une streameuse diffuse une émission qui va peut-être ramener plus de monde, elle peut utiliser ce service-là pour trouver de la modération.

 

Au niveau de sa composition, Stream’Her est-elle mixte, majoritairement féminine… ?

Stream’Her est majoritairement composée de femmes cisgenres, transgenres ou non-binaires s'identifiant comme femme puisqu’on traite un sujet qui touche les femmes. Après, nous, on part du principe qu’on a besoin de tout le monde. Finalement, c’est une problématique qui nous touche toutes et tous, donc on a vraiment besoin du soutien d’un maximum de personnes pour faire rayonner le projet et les streameuses. Si un homme veut nous aider ou partager nos événements, il n’y a vraiment aucun souci ! On est ultra-preneuse du soutien de tout le monde parce que, pour nous, si tout le monde ne veut pas cette égalité de représentation dans le streaming, alors on a un autre souci. Je pense que ça doit venir de tout le monde. On n'est pas du tout fermée à ce niveau-là.

 

Finalement, c’est un projet qui s’adresse principalement aux femmes mais qui nous concerne toutes et tous ! Parlons maintenant de la mixité dans les jeux vidéo et le streaming. Qu’est-ce que cela t’inspire ?

Ça m’inspire plusieurs choses. Concernant le jeu vidéo, si on regarde les chiffres, on peut voir que c’est un milieu très mixte parce qu’il y a autant de joueuses que de joueurs à échelle mondiale. Je pense que ça fait déjà entre deux et trois ans qu’on est quasiment à 50 % de femmes et 50 % d’hommes. Pourtant, on a encore cette image du jeu vidéo comme un domaine très masculin et plutôt réservé aux garçons qu’aux filles. Cette vision est même présente dans l’esport : c’est extrêmement masculin. Il y a énormément de sexisme, de harcèlement… donc il y a vraiment du boulot à faire à ce niveau-là. 

Par rapport au streaming, c’est un peu différent. Au niveau des stats, on n’est pas du tout à du 50/50. Aux dernières statistiques, on était plutôt aux alentours de 30 % - 35 % de femmes et 65 % - 70 % d’hommes, donc on est encore vachement loin d’une parité entre femmes et hommes au niveau du nombre de personnes qui diffusent. À ce niveau-là aussi, il y a encore un réel boulot pour que davantage de femmes se lancent dans le streaming et s’y créent leur place.

Pour le jeu vidéo, il a fallu du temps avant qu’on arrive à une parité, donc je suis super positive en ce qui concerne le streaming. Je pense qu’on va y arriver. Il faut juste du temps, surtout que c’est un peu plus récent que le jeu vidéo. Ça fait moins d’années que ça existe. 

Après, il y a toujours ces mêmes problématiques de harcèlement, de sexisme… pour lesquelles, avec Stream’Her, on essaie de trouver des solutions pour diminuer ça comme on peut. C’est vrai qu’il y a des similitudes quant à la mixité dans le jeu vidéo et dans le streaming.

 

Selon toi, qu’est-ce qui pourrait expliquer cette différence de présence, entre les hommes et les femmes, dans le streaming ?

Je pense qu’il y a vraiment plein d’explications possibles. C’est une question qui n’a pas une seule explication, mais plusieurs choses mises bout à bout peuvent l’expliquer. Déjà, je pense que, le fait que c’est un milieu qui a l'air très masculin, ça met peut-être des barrières à certaines femmes. En tant que femme, on peut avoir peur de se lancer dans le streaming parce qu’on se dit que c’est un milieu d’hommes, qu’on va d’office vivre du harcèlement, qu’on va être jugée sur notre physique ou sur nos compétences, etc. C’est pour ça que nous, avec Stream’Her, on essaie de mettre les streameuses en avant et de soutenir les femmes qui aimeraient se lancer, à avoir confiance en elles et à obtenir les ressources dont elles ont besoin pour le faire. Je pense qu’arriver sur Twitch et voir qu’il y a une grande majorité d’hommes, sans compter tout ce qu’on entend au sujet du harcèlement, ça rebute un peu pour se lancer.

 

Selon toi, comment sont traitées la mixité et la diversité par les plateformes de streaming ?

Je pense que ça dépend de chaque plateforme. Je vais surtout parler de Twitch comme je suis surtout là-dessus. Pour la mixité, je sais que Twitch essaie de mettre assez souvent en avant des streameuses sur leur page de réseaux sociaux. À part cette petite mise en avant, je n’ai pas vraiment l’impression qu’il y a des actions qui sont mises en place pour encourager les streameuses à se lancer ou qui visent à aider les streameuses à se protéger du sexisme et du harcèlement. À ce niveau-là, je n’ai pas l’impression qu’il y a grand chose qui est fait, même si Twitch ajoute régulièrement des nouveaux outils de modération.

 

Et dans les jeux vidéo ?

Ça dépend vraiment des jeux. Comme je joue surtout à des jeux solo, je ne fais pas vraiment face aux communautés en ligne, notamment à travers les chats vocaux présents sur certains jeux. 

Sinon, dans les jeux en général, on peut parler de la mixité à différents niveaux : la représentation des personnages du jeu, la communauté qui existe autour du jeu et les studios. Dans les trois cas, il n’y a pas énormément de représentations féminines variées. Il y en a de plus en plus, notamment dans certains jeux solo comme Horizon et The Last of Us, mais ça reste encore une minorité de représentations féminines dans les jeux vidéo. Quand j’étais petite et que je jouais aux jeux vidéo, il y avait très peu de personnages auxquels je pouvais m’identifier parce qu’il y avait très peu de personnages féminins ou seulement quelques personnages qui ne servent à rien comme Peach qui se trouve au château et qu’il faut sauver. Je pense que, si j’avais connu les jeux vidéo de maintenant quand j’étais plus jeune, j’aurais quand même pu plus facilement m’identifier et m’épanouir à ce niveau-là, même si clairement, il y a encore du travail. Ça arrive encore souvent que les femmes représentées dans les jeux vidéo correspondent aux stéréotypes de genre et soient « parfaites », comme on peut le voir dans un magazine par exemple. Je pense que des personnages féminins plus âgés ou avec une corpulence plus ronde, ça n'existe quasiment pas. Je trouve ça dommage. Il faudrait essayer de représenter un petit peu tout le monde. Par rapport aux couleurs de peau, je pense qu’il n’y a pas encore non plus beaucoup de diversité dans les grands jeux. Dans les jeux indé, je pense que les équipes de développement font plus attention à ça, mais dans les grands jeux, c’est un peu différent. En parallèle aux représentations dans les jeux, il y a aussi la question de “comment le public le prend”. Je pense au jeu Forbidden West où tout le monde avait été outré parce que le personnage avait du duvet…

Concernant les studios, d’après ce que je sais, il n’y a pas une très grande mixité non plus, ça reste très masculin. Je pense que c’est un problème qui est plus complexe parce que, selon moi, il vient aussi du fait qu’il y a moins de femmes qui suivent des formations professionnelles liées aux jeux vidéo et à la tech. Ce serait bien d’aller dans les universités et de faire plus de campagnes ciblées. On pourrait aussi transmettre l’idée, à travers l’éducation, qu’en tant que femme, on peut très bien faire se former à ces domaines, où il y a moins de femmes actuellement. C’est un problème qu’on devrait traiter à sa racine.

D’un côté, je pense qu’il y a cette peur d’aller travailler dans le milieu du jeu vidéo parce qu’on est une femme et qu’on a entendu beaucoup d’histoires en lien avec le harcèlement et le sexisme. D’un autre côté, je pense qu’il y a déjà un problème de mixité dans les études supérieures. Je ne connais pas les statistiques, mais je pense qu’il y a vraiment moins de femmes que d’hommes. C’est pour ça que la représentation, c’est ultra important. Ça permet d’encrer dans les mentalités, qu’en tant que femme, on peut totalement exercer des métiers dans ces secteurs.

 

Tu as déjà évoqué à plusieurs reprises le sujet du harcèlement et du sexisme… D'après ton expérience et tes connaissances, y a-t-il des mesures spécifiques mises en place par les plateformes de streaming et les studios de jeux vidéo par rapport au sexisme et au harcèlement sexuel ?

Je pense que c’est toujours extrêmement présent. Clairement, ça n'a pas vraiment diminué. Moi, je live tous les matins et c’est rare que je fasse un live sans qu’il n’y ait une ou deux personnes qui viennent faire une remarque. Pourtant, j’ai une communauté relativement safe. On peut aussi le voir à travers des discussions sur le serveur Discord Stream’Her. Nous avons créé un salon dédié aux témoignages. Il permet aux streameuses de s’exprimer et de partager leurs expériences. C’est malheureux, mais je pense que chaque semaine, au moins une personne rapporte un problème de sexisme sur Twitch. Ça peut être des remarques positives sur le physique : répéter sans arrêt “t’es belle, t’es belle, t’es belle…” ou alors, à l’inverse, dire “t’es moche”. On me l’a sorti plein de fois « t’es moche tu ne vas jamais réussir » ou si une femme commet une erreur dans un jeu, on va lui dire, par exemple : “t’es nulle, tu joues en mode passif… c’est parce que t’es une meuf.”

Ce qui est positif, c’est qu’on en parle de plus en plus. Il y a de plus en plus de streameuses qui parlent de ce sujet-là. Grâce à cette prise de parole, je pense que la plupart des personnes peuvent mieux se rendre compte de ce que c’est être streameuse et qu’il existe un véritable souci. On a vu aussi des outils naître, notamment un bot appelé “place de la paix” créé par le streameur Billy (RebeuDeter), en réaction au harcèlement que les streameuses subissaient. C’est un outil qui permet de partager des listes de bannissements entre plusieurs chaînes Twitch. Concrètement, si quelqu’un est banni sur la chaine Twitch de x personnes, elle sera aussi bannie sur toutes les chaînes qui possèdent le bot.

Je pense que les pouvoirs publics commencent aussi à prendre conscience de ce qui se passe. Nous, avec Stream’Her, on a été pas mal en contact avec le gouvernement belge pour essayer de trouver des solutions et pour mettre des choses en place. Ça prend vraiment beaucoup de temps parce que c’est quelque chose qui est lent et pour lequel tout est encore à faire au niveau de la loi. Malgré ça, c’est chouette de voir qu’il y a cette prise de conscience. Le problème, il est là, le sexisme est toujours aussi présent, mais je pense qu’on est sur la bonne voie. Il faut continuer à en parler, à ouvrir la parole là-dessus et à travailler sur des solutions.

Concernant les jeux multijoueurs, j’ai souvent des échos disant que c’est compliqué quand on est une femme parce qu’il n’y a pas beaucoup de modération sur les chats vocaux et que ça part vite en cacahuète. Parfois, dès que certains hommes entendent une femme parler dans un chat vocal, ça commence à devenir la jungle. Ils ne savent plus comment se comporter. Il y a plein de femmes, avec qui j’ai parlé, qui choisissent de jouer un personnage d’apparence masculine ou un pseudo de type masculin pour ne pas se faire embêter. Certaines joueuses n’activent pas non plus leur micro par crainte qu’on leur fasse des remarques. Si je me rappelle un petit peu, durant les rares fois où j’ai joué en ligne, jamais je ne mettais mon micro, jamais, jamais, jamais…

Certains jeux solo ont aussi des communautés assez toxiques. Si on streame un de ces jeux, on pourrait être confrontée, en tant que streameuses, à la toxicité de certains membres de la communauté du jeu. Je pense que les problèmes de sexisme dans le streaming et dans le jeu vidéo sont assez liés. Je pense qu’un des principaux soucis est qu’il y a encore beaucoup de personnes qui n’ont pas conscience que le harcèlement en ligne est punissable par la loi. Il y a pas mal de gens qui se permettent tout sur le chat ou dans le vocal d’un jeu, sans se rendre compte qu’il peut y avoir d’importantes conséquences. J’espère que dans les années à venir, on deviendra vraiment conscient et consciente que tout ce qu’on fait en ligne, ça a de véritables conséquences. Peut-être qu’on verra plus d’affaires judiciaires de cyberharcèlement où les personnes seront condamnées. Pour ça, je pense que c’est à la justice d’avancer et d’agir.

 

Avant de clôturer cette interview, je voudrais te demander : quelles actions concrètes recommanderais-tu de mettre en place pour promouvoir la mixité et la diversité dans les jeux vidéo et le streaming ?

En fait, il y a plusieurs choses qu’on peut faire. Ce dont je vais parler peut s’appliquer à la fois au streaming et aux jeux vidéo. Je pense qu’un des premiers trucs qui pourrait facilement être mis en place, ce serait, au moment où on rejoint un chat Twitch ou un chat de jeu, d’avoir un petit pop up, un rappel, disant que tout ce qu’on dit sur internet est punissable par la loi. Je pense que rappeler régulièrement “attention le cyberharcèlement est punissable de…” permettrait peut-être que cette idée s’imprime dans les têtes, que les gens comprennent que c’est vraiment répressible par la loi. Ça s’apparente un peu aux campagnes, qu’on peut voir dans les transports en commun, qui préviennent “attention frauder aura telles conséquences”.

Ensuite, je pense que, quand on est streameur ou streameuse et qu’on a une certaine communauté, c’est super important de prendre conscience qu’on a une influence et donc de montrer l’exemple quant à la manière dont il faudrait se comporter. Si jamais on a un chat qui fait des blagues trop limites, c’est aussi la responsabilité du diffuseur ou de la diffuseuse de revenir dessus et d’expliquer pourquoi on ne peut pas exprimer de tels propos. Un truc qui serait trop bien, ce serait par exemple, au moment où on passe partenaire sur Twitch, d’avoir une sorte de mini formation ou un tuto de Twitch sur comment gérer une communauté et certaines situations. Ce serait vraiment sympa ! Je pense que ce serait des choses qui ne seraient pas trop difficiles à mettre en place et qui peuvent déjà avoir un certain impact.

Après, sur Twitch, ce qui est compliqué, c’est que, plus ils bannissent des gens, moins ça fait de clients sur leur plateforme. Je pense que ce qu’on pourrait faire également et qui n’aurait aucun impact pour Twitch, c’est mettre plus en avant des paramètres pour se protéger en tant que streameuse ou streameur. Par exemple, vérifier que les gens dans le chat aient confirmé leur email, leur numéro de téléphone… ce qui empêcherait des personnes de créer plusieurs comptes si on les bannit. Ces paramètres-là ne sont pas suffisamment mis en avant, il faut vraiment fouiller dans les paramètres pour les trouver.

Dans les jeux multijoueurs, c’est très compliqué parce que ça demande de la modération et, pour que la modération soit bien faite, il faudrait que les studios de développement engagent beaucoup de personnes, mais ça, ça coute super cher. Je pense que le système de signalement, c’est pas mal, mais il faut vraiment s’assurer qu’il y ait un véritable suivi. À l’inverse, on pourrait aussi récompenser les joueurs et les joueuses qui ont un comportement exemplaire.

Globalement, je pense que la clé, ce sont les représentations et l’éducation. Ce sont vraiment deux éléments qui sont très importants, que ce soit dans les jeux, dans les studios ou dans le streaming. Le sexisme, c’est quelque chose d’ultra complexe qui doit vraiment être traité à la racine, à travers l’éducation. Je pense que ce serait bien que le gouvernement et les institutions publiques s’y plongent vraiment et entreprennent, eux aussi, des actions. Les associations en réalisent déjà beaucoup et continueront à le faire, mais je pense qu’il est nécessaire que les institutions publiques fassent de même. C’est peut-être à partir de ce moment-là que des changements positifs auront lieu à plus grande échelle.

Je pense que ce serait également super intéressant d’avoir une éducation aux médias (jeux vidéo, réseaux sociaux, streaming…) sur la manière de se comporter, sur les comportements et les attitudes tolérables ou non... Je sais qu’en France, certaines écoles ont maintenant des cours d’éducation aux médias. Ce serait trop cool d’organiser ça aussi en Belgique et de l’appliquer partout en France, car les médias sont présents dans nos vies au quotidien et ce n’est pas prêt de disparaître, au contraire. Il va y avoir plus de réseaux, plus de choses à gérer… donc faire de l’éducation aux médias et à la manière de se comporter, je pense vraiment que ça peut être super positif.

 

Merci infiniment d’avoir pris le temps de répondre à toutes mes questions ! Toute l’équipe de Game’Her te souhaite beaucoup de réussite dans ton parcours professionnel et dans tes futurs projets !

 

Vous pouvez retrouver Chloé et Ilaria sur les réseaux sociaux :

Rejoignez notre serveur discord pour discuter de l'article et partager vos réflexions avec une communauté passionnée !
Lya
Lya

Étudiante en psychologie sociale et interculturelle et amatrice de jeux vidéo, je soutiens un féminisme intersectionnel et inclusif