Portrait de Geneviève Doang : comédienne et voix française de D.Va

Portrait de Geneviève Doang : comédienne et voix française de D.Va

Portrait de Geneviève Doang : comédienne et voix française de D.Va

Le monde du jeu vidéo regroupe de nombreux corps de métier. On a tendance à évoquer les équipes liées à la création même d'un jeu : designers graphiques et sonores, concepteurs, conceptrices, chefs et cheffes de projet etc. Cependant, un métier est essentiel à la bonne finalisation ou réalisation d'un jeu : celui de comédienne / comédien. Afin de donner de la voix à un personnage ou d’interpréter pleinement cedit personnage grâce à la motion capture par exemple, l’industrie du jeu vidéo fait appel aujourd’hui à de véritables professionnelles et professionnels.

Aujourd'hui nous allons nous intéresser à ce métier au travers d'une interview, en rapport avec le jeu vidéo, mais pas que. Et si les personnages de D.Va (Overwatch), Akali (League of Legends) et Ciri (The Witcher) avaient toutes un point commun ? Pourtant issues d'univers très différents, elles sont toutes interprétées (en français) par la comédienne Geneviève Doang ! Elle fait du doublage depuis plus de dix ans et est aussi actrice, elle a notamment eu un petit rôle dans le film Terminator 6. En plus de cette passion pour la comédie, elle pratique le Kung-Fu depuis toute petite. Elle nous a fait une place dans son emploi du temps bien rempli pour répondre à plusieurs questions sur sa carrière, sa passion, sa vie, sa vision du métier et de la mixité dans ce dernier. Prenez une bonne boisson, un plaid chaud et installez-vous confortablement, je vous souhaite une bonne lecture.



Ciri dans The Witcher 3, un des nombreux personnages de jeu vidéo interprétés par Geneviève Doang

Début de carrière

  • Bonjour Geneviève, afin de te présenter aux lecteurs, peux-tu nous dire ce que tu as fait comme études et comment a débuté ta carrière de comédienne ?

J’ai fait un bac S, puis une prépa HEC et j’ai été diplômée de l’ESC Reims (aujourd’hui NEOMA Business School). Alors que je n’étais pas tout à fait diplômée mais qu’il me restait juste mon mémoire de fin d’études à boucler, je suis retournée à Paris et j’ai commencé à prendre des cours de théâtre pour devenir comédienne et me donner une chance.

En effet, parallèlement à mes études, j’ai fait partie d’une association de doublage parodique, GotohWan, qui m’a permis de faire mes premières armes dans le doublage. Je suis tombée par hasard dans le doublage en m’impliquant dans cette association qui était surtout constituée, comme moi, de fans de mangas et d’animés japonais. Lorsque j’ai voulu me lancer sérieusement dans une carrière professionnelle, c’est en toute logique que j’ai commencé les cours de théâtre et que j’ai découvert le métier de comédienne.

C’est un métier de passion, à l’inverse de mes longues études supérieures… mais j’ai toujours eu un côté « artiste » depuis petite qui ne demandait qu’à s’exprimer. J’ai fini par m’écouter de nombreuses années plus tard !

  • C’est vrai que passer d’une “Business School” à des cours de théâtre il y a eu un sacré changement. Comment as-tu progressé, qu'est-ce qui t’as le plus aidé ?

Mon expérience dans l’association m’a grandement aidée, car à l’époque nous faisions des « entraînements » de doublage avec un vrai studio d’enregistrement qui nous laissait utiliser leurs studios le dimanche. Ensuite, j’ai accumulé aussi de l’expérience dans le doublage au sein de la société que j’avais montée à l’époque avec les autres membres de l’association car nous avons doublé plusieurs films et séries d’animation japonaises.

Quand j’ai commencé à sortir de mon cocon de doublage de japanimation et assister sur des plateaux de films, séries live, etc., ce sont mes premiers rôles récurrents qui m’ont permis de progresser rapidement.

  • C’est très souvent dans des associations qu’on arrive à développer sa passion et à faire de grandes choses. Quels ont été les moments décisifs de ton parcours ?

Comme j’en ai parlé, mon histoire avec cette association (qui n’existe plus aujourd’hui) a largement contribué à orienter ma carrière vers le métier de comédienne. Il y a eu également un entretien de fin de stage d’école de commerce chez L’Oréal, où la chargée des ressources humaines m’a dit une chose qui m’a marquée.
Lorsque je lui ai dit que j’hésitais professionnellement entre deux voies, elle m’a dit tout simplement que je n’avais besoin en réalité que de quinze minutes pour prendre ma décision ; c’est à dire mettre de côté toutes les barrières psychologiques et la pression sociale et familiale pour suivre mon cœur.

Et c’est exactement ce que j’ai fait quand je me suis décidée à faire une année sabbatique une fois diplômée pour me lancer dans des cours de théâtre et une carrière de comédienne. Par la suite en doublage, je n’ai pas eu l’impression que tel ou tel rôle m’ait réellement propulsé, mais chaque nouveau rôle récurrent ou important a contribué à mon cheminement jusqu’à aujourd’hui.

Pour moi ça a plutôt été une pente ascendante régulière. J’ai tout de même eu à un moment donné une impulsion pour développer davantage ma carrière d’actrice à l’écran il y a deux / trois ans, parce que je sentais qu’en doublage on me donnait de plus en plus de rôles asiatiques et que je n’avais pas l’impression de réussir à me diversifier davantage dans mes rôles depuis le début de ma carrière (mais qu’au contraire, je faisais plus de rôles variés avant et de plus en plus de rôles typés et/ou asiatiques aujourd’hui).

Pour ne pas avoir l’impression de tourner en rond dans une situation sur laquelle je n’avais aucun contrôle (ce n’est pas moi qui choisis mes rôles), j’ai concentré mon énergie et ma motivation dans un projet personnel. Un court-métrage d’action-comédie : Tranh et Nowak, avec mon partenaire dans la vie et à l’écran, où nous nous sommes écrit des rôles sur-mesure que l’on ne nous aurait jamais proposé en France.

Puis je me suis lancée dans des démarches pour trouver un nouvel agent artistique, en France et en Angleterre, pour la télévision et le cinéma. Cela m’a permis de tourner par exemple dans la série Transferts pour Arte, Dragon Race pour Studio +, Scènes de Ménages pour M6 ou encore dans Terminator 6.


Geneviève Doang (à gauche), dans l’épisode prime de “Scènes de Ménages” : “Ça s’enguirlande pour Noël”

Être une femme dans le monde de la comédie et du doublage

  • En tant que femme, as-tu rencontré des difficultés dans le monde du doublage et dans le métier de comédienne ?

Un jour, un comédien de doublage qui double de très grands acteurs m’a dit que le milieu du doublage était difficile pour les femmes, autant au théâtre qu’au cinéma, car il y a toujours moins de rôles pour les femmes que pour les hommes. Il m’a dit qu’autant un homme pouvait vivre du doublage même en faisant majoritairement des petits rôles et ambiances, autant pour les femmes il n’y avait pas assez de petits rôles et qu’il fallait absolument être suffisamment douée pour avoir régulièrement des rôles récurrents et/ou importants. Cette disproportion des rôles se retrouve bien évidemment dans le milieu du cinéma et de la télévision.

Mais je dirais que dans mon cas particulier, la difficulté majeure que je rencontre vient du lien qu’on fait entre mon physique / mes origines et les rôles qu’on me distribue, parfois au détriment de mon âge, de mon énergie de jeu, ou de mon timbre de voix. Cela se transpose également dans ma carrière d’actrice, où mon agent tente de me proposer sur une multitude de rôles pour la télévision où les origines du personnage ne devraient pas être un critère de choix (on peut très bien être avocate, docteur, chef d’entreprise, policière… et avoir des origines asiatiques sans que cela modifie l’intrigue), mais concrètement, la majorité des castings que je décroche sont calibrés pour des profils asiatiques uniquement.

Autrement dit, des rôles où il est justifié dans l’histoire que le personnage aie des origines asiatiques. J’ai très peu accès aux « autres » rôles, ceux dont les origines de la comédienne recherchée ne sont pas précisées. Aujourd’hui, le cinéma s’ouvre aux « blacks, blancs, beurres », mais les asiatiques sont encore les grands oubliés.

  • C’est bien dommage de voir que l’industrie du cinéma soit aussi “bloquée” concernant les origines des comédiens. Quel est ton point de vue sur l'évolution au cours de ces dernières années, de la place de la femme dans la comédie et le doublage ?

Dans le milieu du cinéma et du doublage en général, même s’il y a toujours une disproportion de la distribution hommes / femmes dans les rôles principaux au profit des hommes, les choses commencent à évoluer avec notamment l’arrivée de plus en plus de réalisatrices qui mettent aussi en avant de beaux rôles de femmes.

L’affaire Weinstein a eu le mérite de faire bouger les choses en ce sens car les femmes sont plus solidaires dans le milieu et osent davantage s’exprimer et s’affirmer, et cela impacte aussi la création, la fiction et les rôles donnés aux femmes.

Le doublage, comment ça se passe ?

  • Mais du coup, comment on est choisi pour faire la voix d’un personnage ?

Les deux décisionnaires sont le directeur artistique (D.A) et / ou le client (c’est à dire la chaîne ou la production du film ou de la série). Parfois le client laisse carte blanche au directeur artistique pour faire son casting (ce qui est rare), ce qui laisse la liberté à ce dernier de choisir lui-même quel(le) comédien(ne) il verrait dans chaque rôle.

Classiquement, le client demande des essais pour les rôles principaux et dans ce cas, le directeur artistique choisit quelques comédiens et/ou comédiennes à proposer qui viennent enregistrer une scène pour le même rôle, comme dans un casting. Le client valide ensuite le comédien ou la comédienne qu’il souhaite pour le rôle. Parfois, le client impose un(e) comédien(ne) pour doubler un acteur / actrice VO et le directeur artistique n’a pas son mot à dire. Pour le reste, généralement le directeur artistique distribue tous les autres rôles sur lesquels il n’y a pas eu d’essais.

  • Une fois que l’on est sélectionné, comment se déroule une séance de doublage, en matière d'organisation et de durée de travail ?

Le directeur artistique essaie de convoquer un maximum les comédiens et comédiennes qui font leurs scènes ensemble, en même temps. Bien sûr, cela dépend des disponibilités de chacun(e). Faire le plan de travail et les convocations est un véritable casse-tête. (NDLR : pour les séries par exemple) Les épisodes sont divisés en boucles d’une durée limitée qui correspondent généralement à des scènes (selon leur durée).

Nous enregistrons donc boucle par boucle les scènes, en écoutant la VO une ou deux fois ; puis on enregistre la scène, on réécoute et le D.A. nous dirige dans le jeu, jusqu’à ce que la prise soit bonne, avant de passer à la boucle suivante. Nous sommes convoqués juste pour la durée nécessaire dans le plan de travail pour finir notre rôle. En général, on groupe l’enregistrement de deux, trois, voire quatre épisodes dans une session d’enregistrement de quelques jours d’affilés.

  • Cela peut vite devenir des journées de travail intensif. Comment est-ce que l’on gére la pression lorsqu'il faut boucler un doublage rapidement ?

C’est plutôt au directeur artistique de gérer la pression car c’est lui qui dirige les acteurs et a la responsabilité de finir le travail dans le temps imparti. Il y a en général plus de pression sur le temps pour les doublages de séries où il faut doubler un certain nombre d’épisodes dans un temps limité. Les directeurs artistiques choisissent donc généralement pour les rôles principaux et récurrents des comédiens talentueux qui sont efficaces et ont suffisamment d’expérience en doublage. Il peut parfois arriver qu’ils donnent leur chance aux essais à des comédiens un peu moins expérimentés mais au talent prometteur – encore faut-il que le / la comédien(ne) soit choisi par le client pour décrocher le rôle.

En doublage cinéma, le budget est plus élevé, il y a plus de temps et donc moins de pression et les D.A. peuvent se permettre davantage de risques dans le choix de leurs comédiens si besoin. Même si bien sûr la plupart du temps, les rôles principaux resteront des voix aguerries en doublage.

Expériences et anecdotes

  • Quel est ton rapport avec les jeux vidéo ?

J’y ai joué quand j’étais enfant comme beaucoup de mes camarades. Mes classiques étaient les jeux Mario, Mario Kart, mais aussi Zelda sur Nintendo 64. Ensuite j’ai été la voix-off officielle des news sur la chaîne Nolife pendant plus ou moins dix ans. Mais aujourd’hui, même si je connais de nom des grosses licences de jeux pour les avoir prononcés pendant des années dans les news, je ne suis pas une joueuse.

  • Quelle est ta pire expérience dans le monde du doublage ?

Lorsque je venais assister en plateau, certains directeurs artistiques ont pu avoir des attitudes ou des paroles un peu condescendantes envers les comédiens qui étaient là pour démarcher… Je me souviens même d’un comédien me demandant ce que je faisais là sur le plateau, assumant que j’étais là pour assister et non pour travailler, alors que j’étais sur le doublage de Wakfu en rôle principal et qu’il venait doubler un personnage guest… !


C’est Evangelyne qui est interprétée par Geneviève Doang dans la série française Wakfu

  • Quelle est ta meilleure expérience dans le monde du doublage ?

Difficile de choisir ! Tous les jolis rôles que j’ai eu la chance de doubler sont de belles expériences. C’est aussi dans le monde du doublage que j’ai rencontré l’une de mes meilleures amies aujourd’hui.

  • As-tu une petite anecdote sympathique à nous raconter ?

L’été dernier, j’étais en train de doubler le rôle de Hisone dans l’animé japonais HisoMaso (ou Dragon Pilot), quand nous avons eu des visiteurs des États-Unis qui sont rentrés pour visiter le plateau (cela arrive que des clients viennent visiter les plateaux pendant que nous travaillons pour voir comment cela se passe).

Il s’est avéré que l’une des invitées étaient justement la comédienne asiatique-américaine qui avait doublé le même rôle que moi sur ce même dessin-animé pour la version anglaise ! Quelle coïncidence incroyable de se rencontrer justement sur le plateau de ce même animé, en France !

  • Quelle est ta plus grande fierté ou réalisation en tant que comédienne ?

D’avoir tenu aussi longtemps dans cette carrière malgré l’imprévisibilité du métier ! Je suis aussi fière d’avoir décroché mon premier vrai petit rôle où je joue en anglais dans le film Terminator 6 avec Arnold Schwarzenegger. J’étais une semaine à Budapest pendant la Toussaint pour le tournage et j’étais aux anges !

Enfin, j’ai des projets sur le feu cette année, notamment le rôle de Roxane dans la mythique pièce de Cyrano que nous allons monter cette année dans une version contemporaine et j’espère également pouvoir reprendre le rôle d’un agent spécial expert en arts martiaux tiré du court-métrage Tranh & Nowak que nous avons tourné il y a quelques temps et que nous aimerions produire en série ! Si ces projets se concrétisent, ce serait vraiment une grande fierté de pouvoir incarner ces deux rôles si opposés.

  • Qu’est-ce qui te motive le plus aujourd'hui dans ton métier ?

Le plaisir de jouer et de raconter des histoires en incarnant des personnages. Petite déjà, je dévorais tous les livres de contes de ma bibliothèque municipale et je rejouais les histoires de jeunes filles pauvres et de princesses dans la cour de récré avec mes amies. Finalement je n’ai pas tant changé ! Ce qui me plait le plus c’est de transmettre les émotions au spectateur.

  • Pour conclure, quels conseils donnerais-tu à des jeunes voulant se lancer dans le métier de comédien et voulant se spécialiser dans le doublage ?

Ne pas oublier qu’être comédien est un métier complet et exigeant pour lequel il faut recevoir une vraie formation en école de théâtre ou de cinéma. Si vous voulez être comédien seulement pour faire du doublage, alors je pense que vous passez à côté de la richesse de ce métier et je ne pense pas que ce soit le bon état d’esprit pour vous lancer dans une telle carrière… mais si la comédie vous passionne et que le doublage vous intéresse aussi entre autres, la plus grande qualité sera la persévérance, c’est à dire la motivation, la patience et le travail.

En fait ces qualités valent aussi pour le métier d’acteur en général, pas seulement en doublage. C’est un des métiers aux monde où l’on essuie le plus de refus et il faut avoir un mental solide et une vraie passion qui nous anime pour supporter la quantité de rejets (pour un rôle décroché, combien de castings manqués !), en plus de mener une carrière qui est, par nature, instable et imprévisible, sans garantie de sécurité. Mais si vous êtes vraiment passionné par le métier de comédien, c’est le plus beau métier au monde !


Nous remercions grandement Geneviève Doang de nous avoir accordé du temps afin de réaliser cette interview et nous lui souhaitons le meilleur pour ses futurs projets.

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Photo de l'article : ©B.Cruveiller

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Ylonith
Ylonith

Voyageur de mondes virtuels, passé par Midgar, Skellige et les terres d’Azeroth. Admirateur de jeux enchanteurs, et explorateur du multivers vidéoludique.